conservatoire national des archives et de l'histoire de l'éducation spécialisée et de l'action sociale

Nous avons fait un pari, nous sommes soixante, réunis en séminaire à Angers et nous parlons de méthode !

Nous avons de 20 à 90 ans, nous sommes historiens, sociologues, archivistes, éducateurs, assistantes sociales ou autres professionnels du secteur social. Parmi nous, il y a des apprentis, élèves, étudiants ou novices, et il y en a qui ont de la bouteille et qui exercent leur métier depuis longtemps. Tous à notre façon, nous sommes des hommes et femmes de terrain, pris par nos urgences et notre quotidien. Et tous nous avons décidé de réfléchir, ensemble, à la méthode.

Pourquoi la méthode et quelles méthodes ? […]

Passer du classement d’archives au récit historique, transmettre aux jeunes générations ce qui a fait « évènement » dans notre passé, cela ne va pas de soi, c’est même un sacré enjeu ! Classer et conserver les archives, décrypter et dépouiller les documents, recueillir la mémoire, cela ne s’improvise pas. Il ne s’agit pas de partir à l’aveuglette, ni de réinventer ce qui aurait déjà été expérimenté par nos prédécesseurs ou répéter les erreurs que d’autres auraient déjà faites.

La méthode en histoire, ce n’est pas échafauder d’emblée de grandes hypothèses, c’est avant tout une composition artisanale, à partir d’ingrédients de base, de recettes, de petits savoir-faire que l’on adapte, que l’on malaxe en fonction de la matière à traiter.

Prenons une association, par exemple une Sauvegarde. Quand et dans quelles circonstances a-t-elle été créée ? Par qui ? Quels sont ceux qui la dirigent et qui l’orientent ? Quels sont ses statuts ? Quand et pourquoi ont-ils été modifiés? Est-elle habilitée, agréée, et par qui ? Qui la finance ? Qui sont ses adhérents ? Quels sont ses usagers ? … Autant de données qu’il faut pointer de façon précise, rigoureuse, systématique, sous forme de fiches.

Mais l’histoire ne se limite pas aux institutions, elle se construit avec et par des hommes et des femmes. Encore faut-il savoir d’où ils viennent, qui ils sont, ce qu’ils ont fait, qui les a influencés, qui ils ont rencontré… On en sait encore trop peu sur le parcours biographique de chacun, sur la manière dont ces parcours se sont croisés, sur les réseaux qu’ils constituent ; c’est ce qu’on appelle aujourd’hui la prosopographie.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’histoire du secteur éducatif, sanitaire, social est encore en friche. Et c’est en accumulant des biographies, des monographies, des études locales, des grilles comparatives que l’on avancera dans la connaissance de la nébuleuse qui caractérise ces différents domaines d’intervention.

Par ailleurs, si l’on parle de secteurs, de réseaux d’acteurs, c’est bien qu’ils sont inscrits dans un temps et un espace spécifiques. Cet espace n’est pas neutre et il faut pouvoir le délimiter et en suivre les frontières. Tout se joue-t-il au niveau national ? À quelle échelle se prennent les décisions ? Où s’effectuent les relais ? Quelle est la bonne loupe qui permet de décrypter la géographie des enjeux, des politiques, des notabilités ? Faut-il situer l’analyse au niveau de la municipalité ? Du département ? De la région ? De la cour d’appel ? Du diocèse ? De l’académie ? La seule façon d’y voir clair, c’est de faire des cartes, des tableaux, des graphiques. Pour chaque période, il faut constituer des jeux de cartes, dont chacune aborde une question précise et que l’on peut ensuite croiser, confronter, superposer ; c’est ce qui peut permettre de comprendre « le dessous des cartes » (pour reprendre le titre d’une excellente émission sur ARTE). Cette réflexion est d’autant plus importante dans le contexte d’aujourd’hui que la décentralisation est en marche, avec ses nouvelles distributions de décisions et de pouvoirs, avec les chevauchements de compétences qu’elle provoque. Les politiques territoriales, les collectivités locales d’aujourd’hui portent en elles des héritages qui remontent, au moins, au XIXème siècle.

Tout ceci est un travail de fourmi, qui demande du temps, de la patience, de l’énergie, des moyens. C’est une entreprise de longue haleine, qui nécessite la mobilisation de tous ceux qui se sentent concernés. Nous sommes persuadés que, pour constituer ce patrimoine et se donner les moyens de l’exploiter, il faut lancer l’entreprise collectivement, dans la mutualisation de toutes les compétences que nous représentons. C’est dans ce but que nous nous retrouvons durant ces trois jours (les 16-17-18 septembre 1999) à Angers, nous sommes ainsi tout près des archives entreposées au CAPEA (Centre des Archives de la Protection de l’Enfance et de l’Adolescence).

Transmettre aux jeunes générations est un des objectifs que s’est donné le CNAHES (Conservatoire National des Archives et de l’Histoire de l’Education Spécialisée) depuis le départ. Mais transmettre, c’est une volonté, c’est aussi un travail et ce n’est pas donné d’avance.

C’est le début d’une aventure !

Mathias Gardet, historien (CAPEA, Université d’Angers)
Françoise Tétard, historienne (CNRS, CRHMSS)

(Séminaire de méthodologie, Angers, septembre 1999)