conservatoire national des archives et de l'histoire de l'éducation spécialisée et de l'action sociale

A lire ce passionnant témoignage de Colette TRUBLET, née à Dinan en 1935


Éducatrice spécialisée – Maitre de formation – psychothérapeute – Psychanalyste
Vie professionnelle :
Formation Éducatrice Spécialisée à Épinay Sur Seine dirigé par Jean Pinaud {1° promotion avec Guénolé Calvez (1932-2010)}
1957- 1964 : Éducatrice spécialisée à Theil-sur-Vanne (Yonne), à l’école Théophile Roussel à Montesson (Seine et Oise), Éducatrice scolaire aux Rochers à Châteaubourg, créé et dirigé par Marie-Blanche David (1928-2016),
1964 – 1970 : Directrice d’un complexe d’établissements en Ille et vilaine : 3 IMP : Château de Beauchesne à Saint Malo, Baudrier à Rennes et Mont kuit à Dol de Bretagne et les IMPro de Dol de Bretagne et Saint Malo.
1970 – 1973 : Maître de formation à l’université de Lille 3, UER fonctions éducatives. chargée de cours de psycho-pédagogie, de direction de mémoire et de management de promotion d’étudiants –
1973 – 1975 : Maître de formation à l’IRFPE d’Amiens. –
1975 – 1995 : Psychothérapeute – psychanalyste à l’inter secteur de psychiatrie des Côtes d’Armor (Dinan et Saint-Brieuc).

Fondatrice, en 1983, de Savenn Douar (Le Tremplin en Français).
Fondatrice en 1989 de « Bécherel, Cité du Livre »
Auteur de livres publiés aux éditions « Bécherel, Cité du Livre » et COOP BREIZH

témoignage :

J’avais 10ans à la fin de la guerre 45-50. « Quelque part en Europe »1 des groupes d’orphelins erraient au gré de leurs besoins, les plus grands s’occupant des plus jeunes. Les Etats voyaient qu’ils glissaient dans la délinquance pour survivre mais les bagnes pour enfants qui avaient existé n’étaient pas la solution pour des descendants des soldats qui avaient donné leurs vies pour leurs patries et pour l’Europe. Peu à peu nous allions créer des centres d’observation et de rééducation pour les mettre à l’abri. L’Ukrainien Anton Makarenko écrivait son « poème pédagogique » à l’usage des éducateurs.
En Bretagne les « résistants » avaient créé les centres d’observation et de rééducation de Kergoat à Pleurtuit près de Dinan et de la Prévalaye à Rennes. Un esprit de dévouement et de générosité, enraciné sur les deux pôles de la résistance et du scoutisme, naissait. On leur doit la formation professionnelle du secteur de la rééducation et de l’éducation spécialisée qui va longuement se développer et se diversifier les années suivantes, et subir des transformations prises en charge par les trois ministères de l’éducation nationale de la justice et de l’éducation nationale. Les années pionnières ont été fertiles.
L’université a ensuite creusé des savoirs à partir de la psychologie qui s’est fort diversifiée, de la sociologie, et de la psychanalyse.
Mon père était mort d’accident en 1938, juste avant que la guerre n’envoie au front mes oncles et la plupart des jeunes hommes de l’époque. La toile de fond de la vie, c’était les bottes allemandes scandant leur passage serré en troupes menaçantes, les vrombissements des bombardiers dans le ciel que nous appelions des « forteresses volantes », et les soucis du « ravitaillement ». Nous découvrions lentement, très lentement, avec le retour des prisonniers de guerre, survivants des stalags, leurs souffrances et leurs privations, et pour certains, les horreurs de la torture. Nous ne découvrirons que plus tard l’innommable industrie de la mort des camps d’extermination humaine, des Juifs pour le plus grand nombre. Nous avons mis beaucoup d’années pour commencer à en apercevoir l’atrocité, et je n’ai jamais eu, de toute ma longue vie désormais, les mots assez puissants pour rendre compte d’une chose si incompréhensible et si révoltante . Quelqu’un le pourra-t-il un jour ?
C’est dans cette atmosphère qu’au détour de l’année 1953, une surveillante générale du lycée de jeunes filles de Dinan où j’étais élève, fine mouche, avait deviné que je ne suivrais pas les sentiers habituels des jeunes filles de mon âge. Je me construisais entre opposition à l’ordre établi et désinvolture. Je militais à la « JEC » et notre professeure de mathématiques dont j’ai conservé le souvenir, se moquait gentiment de nous: « Vous allez-vous confesser, mesdemoiselles ? » Le lycée accueillait les jeunes filles, bien élevées, mais dont les familles
1 C’est le titre d’un film réalisé par Geza von Radvanyi sur les orphelins de la guerre.
étaient déjà peu pratiquantes. Les autres fréquentaient l’enseignement religieux là « Victoire » pour les filles, aux « Cordeliers » pour les garçons.
La surveillante générale, qui connaissait le centre de rééducation de « Ker Goat », m’a donné l’adresse d’une école de formation d’éducateurs spécialisés qui se créait à Paris autour de Jean Pinaud sous l’égide des ministères de l’éducation nationale, de la santé et de la justice. De la même manière qu’en Bretagne ils avaient d’abord été des « résistants » qui s’étaient cooptés pour mettre en place une école de formation pour des éducateurs qui jusqu’alors se coltinaient les jeunes caractériels et délinquants ou « cas sociaux », tous laissés pour compte sur les décombres de l’après guerre. J’ai des souvenirs de ces personnes merveilleusement dévouées, courageuses, des hommes à la fois sensibles et déterminés. J’avais lu avec passion le « Chien perdu sans collier » de Gilbert Cesbron. Henri Joubrel viendrait nous parler des premières démarches de la profession en Bretagne et René Zazzo nous introduirait à la psychologie de l’enfant. Un juge pour enfants nous enseignerait leurs droits.
J’étais parmi les plus jeunes de la promotion. Nous avons été plus de 200 à nous présenter par groupe d’une vingtaine, aux épreuves de présélection qui ont duré huit jours, en internat, à Epinay-sur-Seine. Tests, récits de vie, entretiens individuels sur nos motivations avec psychiatres et psychologues, endurance physique, aptitudes manuelles, nous avons été dûment évalués, soupesés, testés pour être finalement admis ou refusés. L’idée était :
L’outil de l’Educateur Spécialisé, c’est sa PERSONNALITÉ ! Tout un programme !
Voici la photo de la toute première promo d’épinay. Jean Pinaud, le directeur est au centre de la photo avec à sa gauche sa femme. Nous étions autant d’hommes que de femmes agés de 19 à 35 ans, si je me souviens bien. Je suis assise par terre aux pieds de Jean Pinaud (pull rayures en V). A droite derrière notre instructeur (lunettes) on distingue Gwenolé Calvez qui a fait partie du CNAHES. Tous nos instructeurs portaient des noms-totem : Centaure et Pervenche : Monsieur et Madame Jean Pinaud, Pingouin pour le chef de stage, Gracieuse, Ze etc..
René Zazzo, un résistant lui aussi de la première heure, nous instruisait de ses recherches sur la psychologie de l’enfant. Il était en formation avec Wallon. Il nous parlait des travaux de Piaget et nous avons assisté à des présentations d’enfants malades à la Salpêtrière dans le service du professeur Heuyer. C’était à la base de notre enseignement.
Nous avions des cours sur la législation concernant les « mineurs », utiles pour appréhender la délinquance juvénile et le travail en milieu ouvert.

Je ne me souviens plus si René Zazzo lui-même nous a enseigné les différents handicaps et les déficiences mentales, avec les troubles associés.
Nos instructeurs nous mettaient en situation de mener une vie de groupe pour nous sensibiliser à ce que les jeunes vivaient dans les centres de rééducation en dehors des heures de classe ou d’atelier.
Le sport faisait partie de notre quotidien avec un « dérouillage » matinal, tous au trot en troupeau vers le terrain de sport. Ze nous apprenait à jouer au foot, entre autres. Un jour j’ai reçu un ballon sur la tête, shooté à toute volée par André et mes 45 kilos, répartis sur 1m55 de haut m’ont trahis. J’ai vacillé avec beaucoup de dignité mais je ne suis pas tombée. Même pas mal …
Ensuite il y avait les cours. Et une partie des après-midi était consacrée à l’apprentissage d’activités manuelles susceptibles de nous donner des bases pour occuper utilement nos futurs élèves. Des instructeurs de l’éducation populaire nous proposaient diverses sensibilisations à l’art et je garde le souvenir ému d’une longue explication avec diapos, sur « Guernica » un tableau de Picasso. Et un autre d’une séance de cine-club sur le film très émouvant de Fernand Deligny « Le moindre geste» qui nous introduisait à la connaissance de l’autisme.
Rétrospectivement je constate que toute la formation était pensée pour nous ouvrir des portes sur une variété de connaissances et d’apprentissages qui, chemin faisant, au fur et à mesure de nos parcours professionnels, nous permettraient de consulter les bonnes sources. C’était la porte ouverte à deux directions complémentaires: L’approfondissement de nos connaissances à partir de la pratique du métier et la formation permanente autour de l’idée d’avoir à améliorer ce qui dans nos fonctionnements personnels gênerait notre action éducative et de soin.
La deuxième année allait consister à faire des stages sur le terrain et à revenir à l’école pour rendre compte d’un travail évalué par les chefs d’établissement et les éducateurs en titre. Nous devions rendre un mémoire à la fin de l’année. J’ai personnellement eu la chance de faire trois stages sur quatre prévus (observation, milieu ouvert, filles délinquantes) au Maroc dans des établissements gérés par le Service de la jeunesse et des sports à l’époque dirigé par Jacques Sélosse au Maroc. Et j’ai plus tard retrouvé Jacques Sélosse, devenu titulaire de la chaire de criminologie à l’UER des techniques de réadaptation de l’université de Lille III pour entamer sous sa houlette un doctorat que j’ai par ailleurs dû abandonner plus tard. J’aurais voulu conceptualiser la fonction éducative spécialisée … Le travail reste à faire. J’ai terminé ma série de stages à Dinan chez les Sœurs des Salésiens (Don Bosco) qui recevaient des garçons catalogués « débiles légers » avec troubles associés caractériels.
Après le diplôme, et mes premiers pas d’épouse et de mère de un garçon puis deux filles, entre émerveillement et inquiétude, j’ai débuté dans ma carrière. J’ai été éducatrice spécialisée à Theil-sur- Vanne dans l’Yonne ou j’ai retrouvé une collègue d’Epinay. L’établissement était situé en pleine nature dans une grosse maison bourgeoise que les propriétaires louaient pour équilibrer leur budget. Nous y recevions des gamins agés de 10 à 14 ans de la région parisienne. A l’époque, déjà, la banlieue était en mal de développement et produisait des dysfonctionnements dont pâtissaient les enfants. Nous les occupions en dehors d’horaires scolaires aménagés de telle sorte que beaucoup de temps était consacré aux jeux de plein air et aux activités manuelles et récréatives. Nous faisions du soutien scolaire et de l’accompagnement personnalisé dans toutes les activités quotidiennes. J’avais un peu de mal à m’y retrouver entre gardiennage et accompagnement éducatif. L’atmosphère pouvait parfois être très tendue quand l’anxiété d’un de nos jeunes garçons gagnait le groupe par contagion. Certaines de nos attitudes les apaisaient ; une fermeté qui pouvait être très autoritaire les rassurait aussi, mais rien n’était jamais gagné.
Puis j’ai trouvé un poste à l’école Théophile Roussel à Montesson en seine et Oise. L’établissement avait été géré par Jean Pinaud avant qu’il ne crée l’école de formation d’éducateurs spécialisés à Epinay. Huit pavillons répartis de chaque côté d’une très large allée centrale étaient flanqués d’un vaste terrain de sport ; des baraquements aménagés pour loger le personnel éducatif et d’entretien complétait un ensemble très cohérent, séparé de l’avenue par une grille surveillée depuis le pavillon d’entrée, dans lequel fonctionnait une équipe de direction administrative et des bureaux réservés aux psychiatres et aux psychologues.

Nous recevions des garçons de la région parisienne, étiquetés caractériels et cas sociaux. Tous les pavillons étaient pensés sur le même modèle, fonctionnel, efficace, sans fantaisie. Un grand hall d’entrée permettait un alignement impeccable des trente garçons répartis en deux groupes de 15. Une table de ping-pong séparait le hall en deux parties égales. Un escalier conduisait au dortoir. De chaque côté du hall deux salles d’activités, puis une salle de classe d’un côté, un réfectoire de l’autre s’étalaient au rez-de-chaussée. Quatre éducateurs, deux hommes et deux femmes, vivaient alternativement avec les garçons. Un instituteur ou une institutrice assuraient la scolarité par groupe de quinze. Les éducateurs étaient chargés de l’enseignement de l’histoire et de la géographie, du sport et des activités qu’ils choisissaient d’animer. Les éducateurs dormaient alternativement une nuit sur quatre dans une chambre au milieu du dortoir.
C’était militaire et la discipline rigoureuse. Les garçons marchaient au pas ; les équipes éducatives n’avaient pas de véritables échanges ni d’occasion prévue pour réfléchir ensemble aux meilleures manières de développer un véritable travail d’éducation spécialisée.
J’ai eu l’impression qu’en dehors d’un psychologue qui s’investissait dans une réflexion à mener sur notre démarche, la réflexion des éducateurs spécialisés se réduisait en général au passage de consignes à l’occasion des changements d’équipe. La pression de la hiérarchie très verticale avec en vigie une administration avec des fonctionnaires d’état, et un staff de médecins psychiatres rédigeant des demandes de prise en charge, ne permettait pas une vie d’équipe telle que j’en avais connu durant mes stages. J’avais parfois l’impression de vivre dans une cocotte minute, envahie par le trop plein d’anxiété de nos pensionnaires maintenus dans une discipline rigoureuse. Le seul critère pour apprécier notre travail semblait n’être que le respect de la discipline. C’est ainsi qu’un jour, en plein réfectoire, je suis montée sur un tabouret en brandissant une louche face à un gaillard de 15 ans qui me dépassait d’une bonne tête, en hurlant « je cogne », pour arrêter une bagarre ; mon collègue masculin, qui s’était laissé dépassé, en est resté pantois. Après un incident avec une institutrice qui a failli un jour recevoir en pleine tête la brosse à effacer le tableau envoyée par un élève en pleine crise, j’ai dû la remplacer. Et j’ai alors débuté une carrière d’enseignante spécialisée sur le tas et au pied levé. Je me suis précipitée sur les méthodes nouvelles qui commençaient à exister autour des travaux de Freinet, de Montessori. J’ai suivi un stage de formation très rapide avec une collègue qui s’y connaissait mieux que moi. C’était la panique. Mais les horaires convenaient mieux que ceux d’éducatrice de groupe. Je ne travaillais plus que dans les horaires scolaires.
Mes deux premiers enfants appréciaient. D’ailleurs quand J’ai donné naissance à notre troisième enfant, nous avions décidé de rentrer en Bretagne et j’avais trouvé un poste d’éducatrice scolaire « aux Rochers », à Chateaubourg dans un établissement créé par Marie-Blanche Davy qui avait elle aussi fait un stage dans le centre de rééducation de la Prévallaye près de Rennes avec toute l’équipe des pionniers de la rééducation en Bretagne. En bonne psychologue, elle avait soigneusement pensé son organisation. L’équipe éducative, cette fois, avait des occasions de réfléchir ensemble durant des réunions régulières dites de « synthèse ». D’autre part, j’ai pu continuer à bénéficier d’horaires scolaires en tant que chargée de l’enseignement d’un groupe d’une douzaine d’enfants. Les enfants, filles et garçons étaient âgés de 8 à 14 ans. La plupart étaient en difficulté scolaire importante. Les sautes d’humeur et l’anxiété étaient plus facilement contenues et Madame David, par ailleurs, recevait les parents pour maintenir avec eux un accompagnement respectueux de leurs difficultés. C’était une démarche qui donnait plus de fluidité à notre action éducative.
La présence dans leurs murs du centre d’éducation spécialisée était bien tolérée par les habitants de Chateaubourg et après les frustrations de mon passage dans la région parisienne, je pouvais renouer avec les enseignements qui faisaient la toile de fonds de mes interrogations professionnelles. Notre équipe éducative appréciait de se ranger à une hiérarchie des valeurs et non plus comme à Montesson à une hiérarchie des pouvoirs, administratifs et médico-psychiatrique. Les années 68 étaient, « aux Rochers », vécues tranquillement, avant l’heure.
Marie-Blanche David a été la deuxième personne qui a soutenu mon évolution. C’est elle qui m’a proposée comme directrice de l’institut médico pédagogique que montait l’association des Papillons blancs d’Ille et Vilaine. Les parents de l’association ont propulsé la création de trois IMP à partir du premier qui a été installé dans le « château » de Beauchesne. J’ai été chargée de constituer et animer les équipes pluridisciplinaires au fur et à mesure de leur création. Trois IMP on vu le jour à Saint- Malo, (IMP Beauchesne) à Rennes (IMP le Baudrier) à Dol-de-Bretagne (IMP Mont Kuit – en Breton

Mont Kuit = Aller loin) – Sur un des bulletins de l’ANEJI (Association nationale des éducateurs de jeunes inadaptés), la confusion entre Mont Kuit et mon « Q.I » ne pouvait pas ne pas être objet de taquinerie … Les trois IMP, sous ma responsabilité toujours, ont été chacun complétés d’ateliers professionnels. Je choisissais les équipes sur proposition de l’association et des Educateurs-chefs me relayaient à la tête de chaque structure, avec dans chaque établissement une trentaine d’enfants ou de jeunes, filles et garçons mélangés. Les admissions étaient acceptées sur des critères d’inadaptation à l’enseignement traditionnel ou au travail. Nous acceptions également des enfants avec des troubles associés (autisme – psychose- troubles psycho-moteurs – trisomie). Compte-tenu de la mise en place des établissements par l’association des parents d’élèves, les papillons blancs, nous étions placés à égalité dans les décisions à prendre concernant la gestion et le fonctionnement général de la vie quotidienne. Par contre le médecin-psychiatre en charge des demandes de prise en charge par la sécurité sociale était libre de ses décisions. J’avais la responsabilité des équipes d’éducateurs spécialisés (activités d’apprentissages, d’éveil, de vie en commun, de pré-scolarisation allant quand c’était possible jusqu’à l’apprentissage de la lecture et du calcul) et des rééducateurs (psychomotricité –orthophonie). Des psychologues intervenaient en consultations individuelles près des parents et près des éducateurs, à chaque fois pour mettre en place des stratégies éducatives en fonction des difficultés rencontrées en famille ou à l’établissement. Je participais activement à toutes les réunions de synthèse et aux rencontres du psychologue avec les parents. Le maître-mot durant tout ce temps était de pouvoir dédramatiser le fardeau du handicap et de nous en libérer tous et chacun pour sa part dans sa position professionnelle ou en tant que parents. Et j’ai souvenir d’une émotion difficile à contrôler quand une fillette trisomique me montre un dessin dont elle me fait comprendre qu’il s’agit d’elle, pour en déchirer rageusement son image qui ne lui plait pas, sans avoir des mots pour le dire.
Il neige. Premier hiver à Beauchesne. Erwan, Catherine et Annaïg, mes enfants, posent devant l’établissement. Nous occupons un appartement sous les combles. Le rez-de chaussée est réservé aux salles de classe et d’activités, le premier est réservé à mon bureau, à l’infirmerie, au secrétariat et à une salle de rééducation. Derrière un bâtiment accueille restaurant salle à manger et salle de sport. 10 ha de terrain avec une châtaigneraie et un plan d’eau complètent le décor. L’association est locataire de la propriété qui appartient aux trois villes de Saint Malo, Saint Servan et Paramé au lieu dit : « la Passagère »

Je ne sais pas si j’ai eu le temps d’hésiter au seuil de cette nouvelle aventure. Heureusement, la structuration du travail des équipes était partout la même. Des éducateurs spécialisés diplômés pour encadrer des groupes de 10 à 12 enfants ou jeunes, des activités et des apprentissages répartis sur la journée, un réfectoire avec des personnels capables d’assumer les conséquences des sautes d’humeur ou des maladresses des petits curieux touche-à-tout dans l’espace du restaurant, et de surveiller qu’aucun n’échappe à notre surveillance en allant errer sans protection au fond de la châtaigneraie ou au bord de la mare. … J’étais secondée par des éduateurs-chefs à la tête de chacune des trois structures. Et, à Beauchesne au moins, un des éducateurs se préparait à prendre la direction d’un futur foyer pour adultes.
Il me semble que nous faisions du bon travail. Les parents avaient parfois des sueurs froides quand nous osions plus qu’eux solliciter la créativité et l’autonomie d’enfants qu’ils avaient l’habitude de protéger plus qu’il n’en fallait, en raison de leur handicap.
À Rennes, les équipes du CREAI s’activaient autour de Michel Lemay, un éducateur de terrain qui avait fait ses débuts comme éducateur de groupe à la Prévallaye et qui achevait des études de psychiatre ; ils avaient monté une école de formation d’éducateurs spécialisés, rue Charles le Goffic en équipe avec les pionniers de l’après-guerre. Ils cherchaient des « terrains de stage » pour leurs élèves. Et nous avons été sollicités pour les recevoir.
C’est à ce moment-là que Michel Lemay proposait aux directeurs des nombreux établissements qui s’étaient développés en Bretagne, un cycle de formation comprenant un cours magistral sur « la psychologie du moi », puis une formation à la méthode canadienne de « supervision ». Attention à bien comprendre qu’il s’agit d’acquérir une vision de soi-même en situation éducative. D’ailleurs pour y parvenir Michel Lemay avait sollicité le groupe français de sociométrie dirigé par Anne Ancelin- Shutzenberger, une élève de Moreno, spécialiste inventeur du psychodrame triadique aux Etats Unis. Il s’agissait de réunir un groupe de 12 à 15 volontaires, en général des professionnels chargés de soins, d’éducation ou de formation, et de favoriser l’expression des difficultés de la communication et de la compréhension de ce qui se passe au sein des relations aidant-aidé et aidant-aidant. La formulation étant : La relation aidant-aidé passe par la relation aidant-aidant. En d’autres termes les partenaires s’enrichissent de leurs réflexions mutuelles chacun pour sa part et en toute différence de place, de position, de savoir.
Au cours de sessions réparties en période de cinq fois trois heures sur un week end, tous les deux mois, nous pouvions apprendre à mesurer et à démêler nos réactions émotionnelles dans la mise en scène d’une difficulté que nous n’avions pas résolue en situation soit personnelle ancienne puis, plus tard durant la formation au psychodrame, dans les situations professionnelles. Durant la première séance, les animateurs facilitaient l’expression d’une difficulté évoquée par l’un ou l’autre d’entre les membres du groupe; puis elle était mise en scène pour être jouée par des protagonistes représentants les différents acteurs de la difficulté évoquée. Le retour au groupe permettait à tous de faire des commentaires, de manifester son empathie ou ses réticences et de proposer des prolongements en écho de cette première amorce du travail.
Ma vie professionnelle prenait alors un tour inattendu. Les cours de Michel Lemay et la formation à la « Supervision », méthode canadienne, influaient de plus en plus sur ma manière de diriger les équipes éducatives des établissements que je dirigeais. Et c’était passionnant. Nos stagiaires, selon les commentaires entendus à l’école de formation d’éducateurs de Rennes « faisaient des progrès » Bientôt et sur un temps long de mon évolution professionnelle, je serai sollicitée (1970 à 1975) pour devenir à mon tour chargée de formation à la supervision des étudiants de l’école des éducateurs de la rue Charles Le Goffic de Rennes.
J’ai apprécié plus que je ne saurais dire, combien l’enseignement de Michel Lemay avait pris pour moi une importance irremplaçable. J’y ai fait l’expérience très profondément rassurante et satisfaisante de faire coïncider le mot, le concept, à sa capacité à contenir pleinement l’intuition qui surgit des profondeurs de l’inconscient à l’occasion d’un échange, d’une rencontre, d’une évocation, d’une émotion et ici à l’occasion des cours de Michel Lemay. Ce dont j’avais eu l’intuition durant ma vie professionnelle prenait son sens et des dimensions que je n’avais fait que soupçonner. Je pouvais mesurer plus complètement ce que Jean Pinaud, à l’IRFES d’Épinay avait énoncé à savoir que « l’outil de l’éducateur spécialisé est sa personnalité ». Je vérifiais l’excellence de cette désignation de départ.

J’avais participé de manière un peu lointaine au mouvement de libération de la société, en Mai 1968, contre les hommes de pouvoir dans les institutions et à l’université. A l’école des éducateurs de la rue Charles Le Goffic, nous étions en avance sur les temps nouveaux qui mettaient en avant des choix d’adhésion à des valeurs humanistes plutôt qu’à la soumission à des personnages tenant de l’autorité, de sous-chefs en petits chefs puis en chefs suprêmes. Leurs institutions et leurs administrations vivaient bon an mal dans ce qu’on pourrait appeler les malédictions de la soumission. Notre secteur souffrait moins que d’autres mais nous sentions quand même le poids, parfois l’arrogance et surtout la pression des corps constitués de l’université, de la santé et de l’administration avec lesquels nous devions composer. Les mandarins dominaient sans vergogne nos troupes actives sur le terrain. La recherche dans le domaine de l’éducation spécialisée n’avait pas gagné ses galons universitaires. Nous ne faisions pas partie de leur « élite » à égalité de concept pour être admis à participer à leurs recherches. Nous en restions au stade expérimental et certains mandarins nous faisaient sentir le poids des distances qui nous séparait.
Ce n’était pourtant pas dans ce domaine que mon bel élan professionnel était plombé. Des difficultés allaient me conduire à divorcer. C’était au détour des années 69-70. Au début de l’année 1968, sentant venir des difficultés qui me déstabilisaient profondément j’avais sollicité d’entrer en Psychanalyse. Madame Marie Cécile Ortigues a accédé à ma demande. Je ne pouvais plus rester seule avec mes angoisses. L’aventure psychanalytique a commencé pour moi par une première année de libération d’un énorme poids de vieilles habitudes tant idéologiques que contraignantes. Ensuite le surgissement et la mise à plat des raisons de mes vieilles anxiétés ont commencé à envahir mon quotidien personnel pendant que je restais capable d’assumer mon fonctionnement professionnel. Rétrospectivement, je m’en étonne.
J’avais bien pressenti que le couple présidentiel de l’association des papillons blancs qui m’employait supporterait très mal mon divorce. Ils m’ont demandé de démissionner après avoir monté une cabale contre moi et mes mœurs dissolues sensées mettre en danger le fonctionnement des établissements.
J’ai très très mal supporté la cabale et j’ai eu très peur de perdre mon travail, sachant que j’étais seule désormais à pouvoir élever mes enfants. C’était d’autant plus grave que je n’aurais pas d’appréciation favorable sur un certificat de travail utile pour trouver un autre poste. J’ai fait appel à l’équipe du CREAI pour rédiger une évaluation du travail que nous avions réalisé et ils ont accepté de venir sur place, à Beauchesne. Michel Lemay et Paul Lelièvre, directeur de l’école des éducateurs de la rue Charles Le Goffic ont présidé les débats. Naturellement le compte-rendu plaidait en ma faveur. A l’issue de la séance de travail, l’équipe de Beauchesne pouvait se rendre compte de la qualité du travail que nous avions effectué et le président m’a alors confié qu’il savait d’avance qu’il me regretterait. Simplement, sa femme fragilisée par le handicap de leur fils élève à Beauchesne, n’aurait pas supporté que je reste. Piètre consolation pour moi coupée en plein élan au cœur de ma trajectoire.
Finalement, après quelques semaines de recherches, dédommagée par les papillons blancs à hauteur de six mois de salaire pour licenciement dit de « convenance personnelle de l’association employeur », je trouve un poste à l’Université de Lille 3 dans l’UER des TR (Unité d’enseignement et de Recherche des techniques de réadaptation.
J’étais désarçonnée. Ma psychanalyse avec M.C.Ortigues allait s’arrêter. Je lui ai demandé des adresses à Lille. J’étais plongée alors dans l’exploration des angoisses que j’avais portées avec ma mère lors de l’accident qui avait emporté mon père. J’avais à l’époque 3 ans, plus 1 mois 1⁄2. J’ai appris plus tard que MC Ortigues avait perdu un petit garçon âgé de 3 ans l’année qui avait précédé mon démarrage en analyse avec elle. Elle me donne l’adresse à Lille de Colette (même prénom que moi, donc), et Destombes de son nom d’épouse. L’inconscient trace ses cheminements comme il peut ? En tout cas ça ne s’invente pas. C’est sous le signe des ruptures dans du vivant que je pars avec mes trois enfants à Lille. Je suis à la fois déterminée et paniquée.

L’équipe de Beauchesne m’entoure avant mon départ
Notre installation dans un appartement au milieu d’un grand ensemble, le choix des écoles pour mes enfants dans une ville que je ne connais pas, sans famille, sans amis, je circule et je m’adapte au petit bonheur la chance, avec au ventre la peur que mes enfants ne s’y retrouvent pas. Et puis la vie nous embarque dans ses galères. La période lilloise va durer trois ans. Nous survivons.
Je suis chargée des « troisièmes années » une turbulente promo qui a durement chahuté en Mai 1968. Ils sont encadrés par des universitaires, des psychologues, des sociologues et une équipe de professionnels de la région, qui participent à leur formation. Ils constituent autour de Claude Chassagny, psychanalyste, passionné par la « pédagogie relationnelle du langage » un groupe qui a ses petites et grandes entrées à l’unité de Lille 3. Je suis la seule à justifier d’une pratique professionnelle, d’un perfectionnement professionnel continu et des diplômes requis pour la formation des éducateurs spécialisés ; je suis aussi la seule femme de l’unité d’enseignement.
Mes « troisièmes années » sont une bonne trentaine. Le staff de Lille3 se garde bien de me parler des difficultés qu’ils a affrontées avec eux en Mai 68. Il s’agit de les conduire au diplôme sans faire trop de vagues. Personnellement je n’ai aucune difficulté à organiser leur formation. J’interviens pour assurer des cours dits de « psychopédagogie ». En fait je fais ce que je sais faire et je les entraine à rédiger des « études de cas » ; une fois par semaine je les rassemble pour débattre librement de leurs expériences sur le terrain. J’anime des « groupes de parole ». Je me sens très seule et peu soutenue mais en même temps, je conduis la promo jusqu’au diplôme et le résultat est satisfaisant. L’UER des TR n’a pas perdu la face et la première promotion qui en sort couronne leurs efforts. On me donne la charge, à la rentrée des secondes années.
Entre temps je fais une fois par mois des allers-retours à l’IRFTS de Rennes avec des horaires aménagés pour assurer les activités de supervision avec les étudiants. Je continuerai sept années durant la formation au psychodrame à Paris cette fois. Ainsi j’assure par une continuité professionnelle la stabilité et le perfectionnement de mon parcours. Chemin faisant, la psychanalyse que je continue avec Madame Destombes commence à me rassurer ; de questions en questions, de cheminements en difficultés, je réussis à maintenir le cap.
Une nouvelle épreuve m’attend. À l’UER des TR de Lille3 C.Chassagny et son équipe de professionnels va faire alliance avec les universitaires en place. Très savamment, ils vont monter une cabale contre moi, mettre en doute mes compétences et comme rien sur le terrain ne leur donne prise, ils m’accusent de ne pas savoir collaborer avec eux selon les orientations de Claude Chassagny qui défend becs et ongles sa pédagogie relationnelle du langage. Heureusement pour moi, j’ai retrouvé un collègue en formation au psychodrame qui a postulé pour un poste de formateur dans

notre unité. Je vais me sentir moins isolée. Nous nous soutenons mutuellement. Nous pratiquons le « jeu de rôle » qui permet à nos étudiants de prendre la mesure de ce qui se passe profondément dans les situation de soin éducatif. Tous nos étudiants apprécient.
Claude Chassgny avait rencontré Michel Lemay et lorsque j’ai évoqué, à Rennes, mes difficultés, Michel Lemay a rétorqué que C.Chassagny l’avait pourtant remercié de l’aide bénéfique de leurs échanges à propos de leurs inclinaisons respectives l’un la psychologie du moi, l’autre la pédagogie relationnelle du langage.
Je suis blessée par le doute que Michel Lemay laisse, peut-être, transparaître. Rétrospectivement je vois bien que, seule femme au milieu de ces messieurs de l’université et des professionnels de la rééducation dans la région du Nord, je suis la cible d’une cabale dont je ne comprendrai les tenants et aboutissants que tardivement. Une première fois quand j’aiderai une jeune et très belle jeune femme psychiatre à se dégager d’une exposition dangereuse commandée par une équipe d’un centre médico- pédagogique d’inter-secteur, Mais beaucoup plus clairement des années plus tard avec le mouvement « me too ».
Les hommes et les femmes ne savent plus où se mettre à notre époque. Les femmes prennent des places jusqu’alors réservées aux hommes. Le contexte économique semble incapable de fournir du travail à tout le monde. Plus profondément, les hommes essaient de se débarrasser des femmes qui s’aventurent sur le terrain de leurs chasses gardées. Ce n’est pas une nouveauté : Les bagarres des divinités grecques et romaines ont depuis l’antiquité inauguré la guerre des sexes. A notre époque certains hommes, dans toutes les couches de la société et jusqu’à l’assemblée nationale, se laissent aller à un voyeurisme qui fait des femmes des objets d’exposition qu’on peut mettre à l’écart. On ne les écoute pas, on les «mate». Et on leur refuse une incarnation qui les rendrait sensibles, banalement humaines, avec autant de droits qu’eux, elles sont ainsi plus faciles à éliminer. La recherche à cet égard est ouverte, avis aux tenants de la savantissime ressource de la psychologie des profondeurs …
En attendant, à Lille, je suis poussée à la démission. Le président de Lille 3 est navré mais ne peut rien faire. Je ne dis rien à Jacques Sélosse, titulaire de la chaire de criminologie qui avait accepté d’accompagner mes recherches sur la fonction éducative spécialisée en vue d’accéder à un doctorat de 3ème cycle.
Et je trouve un poste de formateur à l’IRFTS d’Amiens, dirigé à l’époque par un Psychiatre, Monsieur Malineau. Je donne des cours de psychopédagogie aux étudiants mais surtout je les accompagne dans leurs réflexions sur les stages qu’ils doivent accomplir et je guide les mémoires qu’ils préparent en vue du diplôme. Je continue mes allées et venues pour continuer mon travail d’analyse avec Madame Destombes et j’obtiens l’autorisation d’explorer sous contrôle la prise en charge d’une analysante. Mon premier contrôleur sera Charles Melman. Ensuite je choisirai de faire partie du groupe4, à l’époque dirigé par Michel Artières. Et je participerai régulièrement aux travaux des cartels du groupe4, installé en parallèle de l’école freudienne dirigée par Jacques Lacan.
Je commençais à pouvoir respirer plus calmement. Je cherche à revenir en Bretagne. Il me semble que mes racines personnelles et professionnelles y sont plus assurées, mieux alimentées qu’ailleurs. Mes enfants ont eu beaucoup de difficultés à supporter leurs écoles lilloises, en perpétuelles agitations déstabilisantes. Ils n’évoquaient que des bagarres entre élèves et des rigueurs disciplinaires. J’avais fini par trouver une place à l’école des Samuels, dirigée par des psychanalystes pour qu’Erwan puisse se récupérer et les filles avaient été admises à « la Sainte Famille » à Amiens.
Mes deux années à Amiens ont été une période de transition. Peut-être avais-je fais le tour de ce que permettait à l’époque l’éducation spécialisée et la formation des éducateurs.
En même temps Je devenais psychanalyste sans trop m’aventurer au départ.
Le Docteur Godard, à l’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile des Côtes d’Armor créait un Centre Médico-pédagogique à cheval entre Dinan et Saint-Brieuc. Il m’a embauchée comme psychothérapeute d’enfants. Avec un énorme soulagement, notre nouvelle vie commençait sous des auspices enfin favorables. Ma première psychanalyste, M.C.Ortigues acceptait de me recevoir en contrôle. Je réparais les ruptures qui m’avaient durement touchées tout au long de mon existence.

L’intersecteur était piloté à partir de l’hôpital psychiatrique Saint Jean de Dieu. Une section de l’établissement recevait en internat des enfants très handicapés suivis par des infirmiers psychiatriques très dévoués. Le Docteur Godard m’a demandé de participer à des réunions de synthèse dans lesquelles nous pouvions débattre de leurs problèmes éducatifs de soignants.
Aux CMPI de Dinan et de Saint Brieuc, je recevais des enfants et leurs parents dans les locaux des deux CMPI. Très vite le docteur Godard m’a demandé de participer à la création d’un petit établissement pouvant recevoir des enfants filles et garçons atteints de troubles mentaux, psychotiques et autistes ou grands caractériels et de l’aider à choisir une équipe. Nous étions à l’époque intéressés par les travaux de Maud Manonni, Françoise Dolto et Rosine Lefort. Donc j’ai fait un exposé du projet à l’école d’éducateurs spécialisés de Rennes et l’un des étudiants, Paul Bothorel, s’est dit intéressé. Ensuite, une collègue rencontrée durant la formation au psychodrame, Chantal Vaillant-Bosseur nous a rejoints.
« La Maison du Jour » recevaient des enfants particulièrement difficiles dont certains étaient violents. L’équipe était composée d’étudiants en psychologie, d’éducateurs spécialisés et le personnel d’entretien et de service était également partie-prenante du travail réalisé avec les enfants. Le Directeur du Foyer de l’enfance assurait la direction administrative.
Plusieurs éducateurs et psychologues suivaient une psychanalyse. Nous nous mettons d’accord pour mettre en place des activités qui seront le support d’une relation éducative d’aide et de soin en nous inspirant des travaux de Maud Manonni et de Françoise Dolto.
Je vais accompagner l’équipe à partir d’une réunion par semaine pour faire surgir le sens de ce qui se passe dans les relations d’aide et de soin qui remplissent les journées.
D’autre part je mets en place des séances de travail thérapeutique avec un psychologue du foyer de l’enfance durant lesquelles nous animons ensemble des « jeux de rôle » adaptés à nos jeunes patients. A l’occasion de l’utilisation de jouet, ou de séances de peinture et de dessin nous essayons de lever des empêchements et de proposer des explications adaptées à chacun mis en situation d’exprimer par des mots, du dessin, une activité, ce qui l’anime, le gêne, l’empêche d’avancer. Il nous semble qu’un foyer d’angoisse torture en secret la plupart d’entre eux ; ils s’agitent sans cesse, ils essaient de fuir, rarement physiquement mais en faisant des colères, ou en devenant apathiques, absents. Nous passons beaucoup de temps à essayer de les apaiser. Chantal pour sa part se spécialise dans la thérapie d’enfants psychotiques et suit chez Rosine Lefort à Paris une formation spécialisée. Des réunions organisées à la maison du jour par l’équipe en place font l’objet d’échanges et de réflexions dans les réunions de travail que j’anime.
Durant dix ans nous allons travailler ensemble avec passion. Malheureusement nous n’aurons pas le temps de théoriser notre pratique ni de l’évaluer à juste mesure.
En plus du travail d’accompagnement de l’équipe de la maison du jour, je reçois des enfants et leurs parents dans le cadre des antennes de l’intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile de Dinan et Saint-Brieuc des Côtes d’Armor. Il s’agit d’entretiens d’aide et de soutien, de psychothérapie en ce qui concerne les enfants. Les équipes des antennes de l’intersecteur à Dinan comme à Saint Brieuc, sont composées de plusieurs spécialistes qui interviennent individuellement avec les enfants en difficultés : psychologues, rééducation psycho-motrice, orthophonie, assistantes sociales, infirmiers psychiatriques.
Nous devons au Docteur Godard, et au Directeur du foyer de l’enfance de Saint-Brieux, Monsieur Favennec d’avoir été suffisamment soutenus et protégés pour déployer une expérience qui, même inachevée, a été l’occasion d’accompagner les enfants et les jeunes les moins bien pris en charge à l’époque. Un bilan reste en suspens mais je ne doute pas que des relèves pourront être prises pour faire évoluer une pratique professionnelle d’aide et de soin qui requiert une réflexion dynamique entre la «clinique» et la réflexion théorique au sein d’équipes pluri-disciplinaires toutes très motivées et engagées. Nous sommes tous reconnaissants au Docteur Godard d’avoir su composer et animer ses équipes en nous garantissant un fonctionnement hautement individualisé et permettant en même temps la prise en charge commune de l’ensemble du fonctionnement des antennes. Il encourageait et favorisait nos échanges sans jamais peser sur nos démarches et en proposant de

temps à autres des réunions sur la totalité du secteur avec un programme d’information livré à notre réflexion à partir d’exposés ou de documents.
Parallèllement à toute cette activité, intense, je fréquente le groupe 4 de psychanalyse et j’entame une « analyse quatrième » et un contrôle serré qui me conduit à Paris deux jours par mois. Me voilà devenue Psychanalyste et une dernière partie de ma vie professionnelle va se dérouler entre le travail en cartel avec Chantal Vaillant, Paul Bothorel et Joël Grabovac, et avec un autre cartel à Rennes.
Un sentiment d’accomplissement et de cohérence s’est peu à peu installé dans l’idée que je me fais de mon parcours.
Colette Trublet
4 Place A.Jehanin 35190 BECHEREL – – 20 Mars 2019 –