conservatoire national des archives et de l'histoire de l'éducation spécialisée et de l'action sociale

SOUVENIRS DE KER-GOAT par Bernard Montaclair

Photo Classe plein air à Ker Goat vers 1953
Mots clefs : AEMO (Action Educative en Milieu Ouvert), délinquants, chorale de Ker Goat, éducateur, instituteur , maître, professions éducative et sociale, Psychiatre, rééducation
Personnages clefs : Francis Blouin, Louis Casali, Jacques Dietz, Colette Fiatte, Célestin Freinet, Jacques Guyomarch, Jacques Hillion, Henri Joubrel, Henri Kegler, Paul Lelièvre, Roger Riffier, Gilbert Rouillon,
Etablissements clefs : Ker-Goat en Bretagne, IMP Bouyssou dans le Lot, foyer Henri Guibé à Caen, Centre de rééducation de Tatihou
Associations clefs : CEMEA (Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation actives), EDF (éclaireurs de France), E.N. (Education Nationale), E.S. (Education Surveillée), FOL (Fédération des Oeuvres Laiques) , ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne, Pédagogie Freinet),

SOUVENIRS DE KER-GOAT :
1953. Sorti du service militaire et employé dans le laboratoire de recherche d’une usine de produits chimiques, j’étais attiré par la perspective d’une profession éducative et sociale.
Abonné à la revue des CEMEA, j’ai posé ma candidature dans un centre pour enfants délinquants de la région parisienne. Au bout de quelques mois, j’annonçai à mon directeur mon projet de mariage. Il me dit qu’il ne pouvait pas me garder car il ne disposait pas d’un logement de fonction pour un couple. Il me conseilla de me faire embaucher dans un Centre qu’il connaissait en Bretagne où on recherchait précisément des couples d’éducateurs. Je pris contact avec Paul Lelièvre, directeur du centre de Ker-Goat près de Dinan en Bretagne. Je reçus une lettre manuscrite de quatre pages où il m’exposait le projet pédagogique de son centre.
Les enfants étaient répartis en « maisonnées » de dix, sous la responsabilité d’un éducateur marié. Il était nécessaire que l’épouse partage les repas avec les enfants aux côtés de son mari. Ce dernier avait, par ailleurs, une fonction, un « métier » dans l’institution. Infirmier, économe, instituteur, maître d’éducation physique et même directeur, tous avaient un logement de fonction dans les pavillons des enfants.
Après le lever, la toilette et le petit déjeuner, les enfants quittaient leurs pantoufles et chaussaient leurs sabots pour aller en classe dans un autre bâtiment ou en atelier. Le mobilier de salle à manger était en merisier. Il y avait des rideaux à fleurs et des dessus de lit dans les chambres qui ne ressemblaient plus à des dortoirs. Des détracteurs ont dit que c’était donner des goûts de riches à des enfants dont l’avenir était la pauvreté. D’autres ont dénoncé le luxe et les dépenses dispendieuses. En fait, ce mobilier fabriqué sur mesure par un artisan local avait coûté moins cher que les mobiliers en tube et formica des catalogues des fournisseurs de l’E.N.
L’épouse n’était pas rémunérée, mais le logement et les repas pris avec les enfants étaient gratuits pour elle et le mari.
Le centre était installé dans des baraquements de la lande bretonne mais il allait prochainement bénéficier de locaux neufs construits près de Dinard.
La proposition de Paul Lelièvre était intéressante et je fis le voyage pour le rencontrer. La première question qu’il m’a posée a été : « Est-ce que tu as ton bac ? ». A ma réponse affirmative, il me dit : « Ah c’est bien ça. Tu vas pouvoir faire la classe ».
Si j’avais eu un CAP de cuisinier ou de mécanicien, je me serais retrouvé dans une autre fonction !. L’essentiel était cette vie partagée dans la maisonnée avec les enfants aux côtés de mon épouse, et plus tard, si cela se présentait, avec mes propres enfants.
Pour faciliter les travaux dans les nouveaux bâtiments, il proposait que je commence à travailler au début des vacances d’été en encadrant un camp en bord de mer avec un autre éducateur, le chef Gilbert Rouillon. Dans la tradition des scouts et éclaireurs de France, les éducateurs, directeur compris étaient appelés « Chefs ».
Dans un pré en bord de mer à Pléneuf, j’ai rejoint le chef Gilbert. Nous avions des marabouts et un petit bâtiment en dur où nous faisions la cuisine.
Pêche dans les rochers, baignade, et grands jeux se succédaient avec les jeunes. J’apprenais à les connaître. Ils avaient tous un passé d’enfants retirés à leur famille, placés en nourrice ou orphelinats. Parfois sur décision d’un juge pour enfants. Dans le Centre, ils apprenaient la discipline, la fraternité chaleureuse des chefs. Ils partageaient avec nous des activités. Le chef Jacques Dietz qui avait un groupe d’adolescents apprentis était spécialisé dans le chant choral. « Les petits chanteurs de Ker-Goat » étaient connus dans toute la région.. Pour aller à la messe ( car tous les enfants ou presque allaient à la messe le dimanche), on marchait au pas cadencé en chantant. La tenue du dimanche était un uniforme bleu, chemise blanche à col ouvert.
J’appréciais cette vie simple et virile. Nous avions peu de difficulté avec la discipline. Les incartades se réglaient par un coup de pied au cul ou une corvée de vaisselle. Mais surtout, les enfants bénéficiaient d’une grande liberté dans les activités. Ils nageaient tous comme des poissons et chantaient comme des anges. ( cf »la cage aux rossignols »
Dès la rentrée, je pris mes fonctions d’enseignant. Dans un premier temps j’avais une chambre dans le château, et une grande pièce voisine était ma classe. A La fin de l’année, je devais emménager dans le pavillon P3 où j’aurai ma classe et ma maisonnée, en duo avec Gilbert Rouillon.
J’allais aussitôt voir le chef Roger Riffier, responsable, détaché de l’Education Nationale, qui avait aussi une classe, dans le premier bâtiment construit. Dans ce pavillon, Chef Paul, avait son logement de fonction au-dessus de son bureau directorial. Près du bureau, la salle à manger de son groupe. A l’étage, la chambre du groupe et son logement de fonction.
Ce dispositif, qui parait assez pesant pour la vie familiale, était, pour nous très vivable. Lorsque nous voulions aller au cinéma, nous prévenions le chef Rouillon qui, dans son appartement symétrique au fond du couloir, pouvait tendre l’oreille du côté de notre maisonnée. Et nous prévenions les enfants. Ils ne fallait pas faire de bruit pour ne pas réveiller notre fille Brigitte.
Un soir, en revenant de Dinard, nous avons trouvé un jeune qui dormait chez nous dans un fauteuil. « Brigitte a pleuré. Je suis allé voir. Elle avait dû faire caca. « Alors j’ai pris une serviette dans votre armoire et j’ai emballé Brigitte dedans…j’ai bien fait ? »

A mon arrivée, le chef instituteur Roger Riffier m’avait reçu cordialement :
« Tu n’as jamais fait la classe ? C’est pas grave. On est tous passés par là. »
Il me confia une liasse de revues pédagogiques. « Le journal des instituteurs », les revues des éditeurs Bourrelier, Nathan etc où étaient découpées en tranches les préparations de la semaine pour chaque niveau et chaque matière.
Dans la pile, une petite revue rose : « l’Educateur », éditée par le mouvement Freinet. Pas de préparations standardisées, mais des articles pour conseiller les échanges interscolaires, l’expression libre et l’imprimerie d’un journal scolaire. Un éditorial de Freinet condamnait les maîtres qui pratiquaient une pédagogue du gavage, obligeaient l’enfant à des apprentissages qui n’avaient pas de sens. « On ne peut pas faire boire de force un cheval qui n’a pas soif ».
Le lendemain, j’allais rendre au chef les revues qu’il m’avait prêtées et lui dis que celle du mouvement Freinet me semblait intéressante. Il se mit à rire : « Tu as raison. C’est ce que je fais moi-même. Mais je ne voulais pas t’influencer. Si tu veux, je pourrai t’aider à démarrer».
Je me suis abonné à la revue. Il y avait une rubrique « Comment je travaille dans ma classe». J’y trouvai les coordonnées d’un instituteur toulonnais qui organisait les circuits de correspondants, le catalogue des fabrications coopératives de matériel d’imprimerie, de fichiers auto-correctifs et les éditions Bibliothèque de travail. J’ai pris contact avec Freinet lui-même, qui répondait toujours en lettre manuscrite par retour du courrier. Il était intéressé par mon statut « d’éducateur ». Je n’appartenais pas à l’Education Nationale mais à un secteur privé non confessionnel et non lucratif, contrôlé et agréé par la Santé, et la Justice (« l’Education surveillée »). La profession d’éducateur était récente, avait ses origines dans le scoutisme catholique, protestant ou laïc (les éclaireurs de France). Freinet connaissait le commissaire national des EDF, Henri Joubrel. Il trouvait important que l’on développe, auprès des jeunes délinquants, ou réputés difficiles, la pédagogie qu’il préconisait pour toutes les écoles. Antimilitariste, il ne pouvait que souscrire aux intentions de Baden-Powel de faire des scouts « des soldats de la paix ».
Très vite, Freinet m’a proposé d’animer une Commission de l’ICEM pour les classes spéciales ( que l’on appelait » Classes de perfectionnement » et pour les Maisons d’Enfants, comme celle de Ker-Goat, ou comme beaucoup d’internats pour ceux qu’on appelait « inadaptés », qu’on nomme maintenant plutôt décrocheurs ». J’ai dû passer l’examen pour obtenir le certificat d’aptitude à l’enseignement des arriérés. C’est ainsi qu’on qualifiait ceux qui ne suivaient pas la scolarité comme les autres. A moins que, par mauvaise volonté, ils perturbent les classes. Ils étaient dans ce cas étiquetés « délinquants » et relevaient du ministère de la Justice.
Très vite, j’ai pu avoir des correspondants, obtenir du matériel d’imprimerie. Les enfants accrochaient très bien et moi aussi à une pédagogie qui partait des intérêts de l’enfant, de leur milieu, de leur vie quotidienne, et des découvertes qu’ils faisaient dans les sorties dans la nature, au bord de la mer, en forêt.
Dans les temps de loisirs, weekend, vacances, les enfants n’allaient pas tous chez eux. Nous organisions des grands jeux, approche, batailles avec un foulard accroché dans le dos, jeux de piste dans la forêt. C’était la tradition scoute et le chef Riffier faisait partie des protagonistes. Je me souviens d’un grand jeu, en plein hiver. La piste nous menait à une rivière.
« Que feraient les chercheurs du trésor ? » demanda le chef Riffier
-« Ils traverseraient la rivière à la nage ! »
-« Eh bien allons-y ! »
Et chef en tête (mais il surveillait du coin de l’œil la sécurité pour le jeunes qui ne savaient pas bien nager), toute la troupe se déshabilla, se mit dans l’eau glacée pour gagner l’autre rive. Le chef avait préparé le terrain la veille et un message nous attendait sur l’autre rive.
Lors d’un autre grand jeu, une équipe défendait les ruines d’un château situé dans les bois au-dessus de la Rance. L’autre équipe assiégeait et cherchait à le conquérir. Le chef Roger Riffier faisait partie des assiégés. Il était si bien pris par son rôle qu’il en venait à lancer, avec son équipe, de vrais cailloux à l’équipe adverse, alors que les batailles, furieuses mais assez sécures se passaient d’habitude en cherchant à attraper un bout de foulard (une « vie ») passé à l’arrière de la ceinture
Ceci pour illustrer des traits de personnalité de Roger. Il était très entier. Allait jusqu’au bout des choses. Tout dans sa classe était rangé, étiqueté de sa belle écriture. Il était si consciencieux que lors d’un camp de ramassage de petit pois qu’il organisait avec moi, nous étions engagés avec les enfants dans un travail de forçat. Soucieux qu’il était de bien terminer une parcelle et la livrer au paysan. Je dus lui dire que je ne continuerais pas le stage avec lui dans ces conditions. Toute la nuit, dans le grenier où nous dormions, nous avons parlé. Roger me reprochait de le laisser seul avec les responsabilités. Il me promettait de revoir sa manière de diriger les choses, me suppliait de ne pas le quitter. La négociation eut un effet bénéfique sur la suite du séjour.
Lors d’une réunion de l’équipe sur les problèmes financiers de l’institution, Paul Lelièvre nous fit part de ses craintes, à la veille de la visite de l’inspecteur de la Population, que celui-ci ne remette en cause les avantages en nature (logement) du personnel et proposait que désormais, on retienne un forfait pour la fourniture d’électricité. Jacques Guyomarch, en tant que secrétaire de la Fédération Bretonne et représentant l’employeur, allait dans le même sens.
Riffier s’opposa fermement à cette diminution des conditions de travail. « Ce n’est pas à moi de payer l’électricité que je vais dépenser pour préparer ma classe ! ». Je suis intervenu dans le même sens. Puisque les heures de travail n’étaient pas comptées, ni le temps de présence de l’épouse, on ne pouvait revenir sur la situation globale des salariés. J’ai su plus tard que Joubrel qui était à cette réunion avait dit à Lelièvre et Guyomard qu’il fallait se méfier de l’apparition du langage syndical dans l’Association….
Quelques semaines plus tard, une opération « portes ouvertes » était organisée et un monsieur qui visitait ma classe et s’extasiait sur les peintures des enfants m’a confié qu’il était le Directeur de la Population : « Quand je vois la qualité et l’importance de votre travail à tous, je signe le budget les yeux fermés ! »
Dans les années 2000, j’ai eu Francis Blouin au téléphone et je devais aller le rencontrer prochainement à la Ville Gilles. La rencontre n’a pas eu lieu et j’ai appris, peu de temps après, qu’il était décédé. Dans les années 2000 aussi, je suis passé à Pleurtuit et monté à Pont Phily. Les trois bâtiments étaient en ruine, fenêtres remplacées par des panneaux de bois, au milieu des herbes folles. Plus récemment, j’ai constaté que les bâtiments étaient réhabilités, habités, loués ou vendus à la découpe. En repartant, dans un petit jardin situé à l’entrée, j’aperçus un homme qui bêchait. C’était Roger Riffier qui me reconnut. Il avait gardé un jardin dans la propriété. Nous avons échangé quelques mots de part et d’autre de la clôture, et convenu de nous rencontrer plus tard. Mais j’ai appris, quelque temps plus tard, la nouvelle de son décès…
Un autre ancien
Lors d’une réunion de travail, l’ordre du jour était la communion des enfants du Centre. Les parents n’étant pas conviés ou recherchés (à l’époque on ne se préoccupait pas des parents !… ) il s’agissait de trouver un parrain pour chaque enfant. Un seul posait problème à l’équipe. Jacques Hillion était un affreux Jojo et personne ne voulait le parrainer. Il se trouvait que jacques n’était ni dans ma classe, ni dans mon groupe. Je n’avais jamais eu de problèmes avec lui.
Au contraire, lors d’un camp de Pâques que j’encadrais et dont il faisait partie, nous avions fait une longue marche pour revenir au camp de base. Les enfants commençaient à traîner la patte et je leur disais qu’on allait bientôt arriver, mais qu’il faudrait encore attendre un peu pour faire cuire les nouilles au jambon.
« Chef !… je peux aller devant pour allumer le feu et faire cuire les nouilles ? … »
« Chiche !
Jacques parti au petit trot. Une heure plus tard, lorsque tout le groupe est arrivé au camp, les nouilles étaient cuites et Jacques nous attendait triomphant.
Jacques avait donc été désigné comme mon filleul. Ma femme qui l’aimait bien aussi eut alors une idée folle. Elle venait de donner le jour à notre premier bébé. Elle proposa que Jacques soit le parrain de notre fille Brigitte. Les collègues étaient un peu surpris de ce parrainage croisé. Quelque temps après, le collègue instituteur qui avait, avec Francis Blouin, son groupe et sa classe dans le second pavillon m’interpella.
Il avait été embauché à la même époque et dans les mêmes conditions que moi. Mais j’avais peu d’affinités avec lui. Dans la pile des revues pédagogiques que Riffier lui avait confiées comme à moi, il avait choisi les revues toutes préparées « du journal des instituteurs »…
« Ton filleul, je commence à en avoir marre ! Je viens de l’envoyer sans souper dans la salle d’eau.
(la salle de bain était parfois utilisée comme punition).
J’allais à l’étage. Dans la salle d’eau, Jacques était assis par terre, l’air boudeur. Une fiche autocorrective de calcul et son ardoise traînaient devant lui.
« Qu’est-ce qui t’arrive ? »
« Le chef André veut que je fasse ma fiche, mais je la ferai pas ! »
« Tu es bête, et tu ne vas pas pouvoir manger. »
« Tant pis. Je la ferai pas ! »
« Peut-être que tu ne sais pas les faire, ces opérations. Tu veux que je t’aide ? »
Jacques me regarda d’un air de défi : « Bien sûr que si je sais les faire. Tiens ! »
En un clin d’œil, il fit très correctement les opérations et me les montra fièrement : « Alors, tu vois que je sais les faire ! »
De sa manche, après avoir craché sur l’ardoise, il effaça rageusement son travail.
Plusieurs fois, Jacques était venu à la maison le dimanche, rencontrer sa filleule et son parrain.
Quand j’ai quitté Ker-Goat pour prendre un poste traditionnel dans l’Education Nationale, j’ai perdu de vue mon filleul.
Mes parents avaient fait pression sur ma femme et moi pour que j’entre dans l’administration pour avoir « la sécurité de l’emploi ». J’ai postulé et obtenu un poste de remplaçant dans l’éducation nationale. Je voulais aussi, ce qui a été réalisé, passer le CAP d’instituteur.
A la fin d’une année scolaire dans une école à deux classes de Marcillé-Raoul, un petit village près de Combourg, nous sommes partis retrouver Gilbert Rouillon qui prenait la direction d’IMP dans le Lot et m’invitait à travailler avec lui. Je retournai dans le privé. Et le fonctionnement de l’IMP était très calqué sur celui de Ker-Goat.
Après quelques années dans ma classe du Bouyssou, au cours desquelles bien sûr, je continuai la pédagogie Freinet, je fréquentais les Congrès et les stages et mes responsabilités à l’ICEM, j’ai été recruté par Henri Kegler en Normandie pour ouvrir un service d’AEMO.
Je rencontrais fréquemment dans les réunions Louis Casali, directeur du foyer Henri Guibé. Un jour, nous avons parlé de Ker-Goat et découvert que Jacques Hillion avait été longtemps au foyer Henri Guibé. Colette Fiatte, éducatrice, et psychothérapeute du Foyer m’a annoncé le mariage de Jacques. Ma femme et moi, flanqués de Brigitte, sommes venus à la sortie de l’église. Jacques était très touché de nous voir.
« J’aurai dû vous inviter. Moi je n’ai pas de famille. Ma femme elle en a plein…. » . Colette Fiatte nous a dit que Jacques avait bien repéré où nous habitions et qu’il n’avait jamais osé sonner à la porte.
Nous avons ainsi repris quelques contacts. Jacques se souvenait très bien des chefs de Ker-Goat. Il a fréquenté ensuite le Centre de Tatihou, puis un centre en Touraine où il a obtenu son CAP de menuiserie. Il a été placé jusqu’à sa majorité en semi-liberté au foyer Henri Guibé. « le Chef Casali , c’était comme un père « pour moi. Il m’a donné les coups de pied au cul dont j’avais besoin. Une nuit que j’avais été me balader en ville jusqu’à pas d’heure, il m’attendait. Assis tous les deux sur une marche de l’escalier, nous avons parlé longuement… »
De Ker-Goat il se souvenait de la fête de la jeunesse. Les jeunes de Ker-Goat étaient appréciés dans la région, y compris par les plus laïques de la FOL, pour la chorale et aussi pour ses prestations à la fête départementale de la jeunesse. Cette année-là, un groupe de matelots porteurs d’un mât et de ses cordages enguirlandés s’avançait sur le stade, suivi d’un second, puis d’un troisième équipage. Sur un signal, les trois mâts se dressèrent, tirés par les matelots qui assuraient la sécurité de l’ensemble. Au son d’une musique virile, une autre équipe escaladait les mâts. L’un des matelots grimpa jusqu’au sommet pour accrocher un drapeau tricolore…
« C’était moi qui suis allé accrocher le drapeau. Tu te rappelles. »
Après avoir été mobilisé dans les paras pendant la guerre d’Algérie, Jacques avait été engagé dans les décorateurs du théâtre de Caen. Son fondateur Jo Tréhard ne tarissait pas d’éloge à l’endroit de son machiniste.
Invité à un anniversaire de ma fille, « Qu’est-ce qu’elle fait comme boulot ma filleule, »
« Psychiatre »
« Ben merde ! »
Ayant appris qu’il était menuisier, Brigitte demanda à son filleul s’il pouvait venir jeter un coup d’œil aux fenêtres du local qu’elle venait d’acheter pour en faire son cabinet. Il lui donna son avis, et ajouta : « Ta porte, elle est moche. Je vais t’en faire une autre. Ce sera mon cadeau. »
Le cabinet est désormais doté d’une magnifique porte en chêne massif.
Belle histoire !
Belles histoires que ces moments autour de Ker-Goat. Aucune évaluation ou statistique de démarche /qualité ne pourra jamais rendre compte de cette subtile entreprise de remise sur pieds d’enfants blessés par la vie que d’anciens chefs scouts ont marqué de leur empreinte dans nos régions Bretonne et Normande.
Bernard Montaclair juin 2020

Frappe texte :
Jenny Molina, Responsable Formation des Services Civiques Délégation Cnahes Bretagne,
Mise en forme :
Daniel Dupied Délégué Régional Bretagne Cnahes