conservatoire national des archives et de l'histoire de l'éducation spécialisée et de l'action sociale

Claude BOUILLON

Parcours d’un éducateur technique au Centre d’Observation de la PREVALAYE,

Après une formation de trois ans au collège technique de Dol de Bretagne 35, je reviens travailler chez mon père, artisan menuisier dans la Manche. J’en ressors marqué par M. Alfred DEGREMOND, professeur technique en menuiserie et un intérêt pour le professorat technique.

Un jour une vis sans fin de notre raboteuse meurt d’une overdose d’huile et je suis chargé d’aller au collège technique de Dol pour demander aux profs d’en refaire une autre avec tour et fraiseuse. Je me pointe opportunément on cherchait à me contacter. Monsieur DEGREMOND doit s’absenter pour une opération des yeux. Il lui faut un remplaçant, on me propose le poste pour quelques mois. Je suis ravi ! Je m’inscris à une prépa par correspondance (Vanves). Je deviendrai Professeur Technique d’Atelier (PTA). Il faut cinq années de pratique professionnelle, j’en ai trois donc je dois donc attendre.

Au même moment en 1957, le centre de la Prévalaye cherche un éducateur technique, je suis sélectionné par Jacques GUYOMARC’H et Yann MALEFANT et admis.

Les jeunes reçus au Centre d’Observation, sont des adolescents d’un niveau intellectuel près de la normale, placés soit par le Juge des Enfants pour actes de délinquance, soit par les services de l’ASE pour troubles graves du comportement. L’établissement ne brille pas par un étalement de richesse. C’est du « bricolé » dans une ancienne belle propriété, qui avait été réquisitionnée par les Allemands1 puis le château brûlé quand les alliés sont arrivés et l’ont investi. Après déblaiement, on s’est servi des fondations pour construire des baraquements écolos avant l’heure, sauf le carbonyle noir de protection, dont les premiers sont envoyés en France par les Américains, dans le cadre du plan Marshall. De la propriété, restent la chapelle, le pigeonnier et des dépendances.

Pour l’accueil au Centre d’Observation, il avait fallu construire des abris pour chaque groupe d’enfants, des lieux de repas, de fêtes, des sanitaires, etc. Les douches, petit bâtiment autonome entre le mitard et le hangar, étaient collectives avec une seule vanne.

Ainsi je me souviens, en entrant à gauche, les bureaux, puis le logement de Jacques GUYOMARC’H, après la chapelle, le réfectoire des petits, la cuisine de Charles BEAUCHE, le réfectoire des grands. On pouvait y lire : 

« Quand on est jeune, ce qui compte ce n’est pas ce qu’on a fait, mais ce qu’on fera « .

Dans le même secteur le garage et l’atelier d’entretien de Bébert (Albert GERARD) dans d’anciennes écuries et remise de voitures. On y trouvait le canoë de l’établissement, et une superbe tête de proue de bateau, appartement à Henri JOUBREL. Le mitard, les douches collectives avec une seule vanne, un grand hangar acheté à St Jacques, il avait été monté là-bas par l’occupant, pour y abriter des avions.

1958, je pars un an après, faire mon service militaire (27 mois et 27 jours), classes trois mois à Bordeaux Mérignac, Base aérienne 106 ; puis trois mois à Fès au Maroc pour une spécialisation dans les transmissions, ce qui me facilitera l’accès au clavier de l’ordinateur en fin de parcours professionnel.

Ensuite Alger de très bons souvenirs ! Sous la colline, appelée bois de Boulogne, se trouvait le centre de télécoms et salle d’OPS de l’armée de l’air, nous couchions sur le haut dans des tentes. J’y rencontre Pierre WILLISECK convoqué chez le juge des enfants pour avoir monté une radio clandestine. Cela avait marché puisqu’une plainte fut déposée. Il avait mobilisé sa jeune voisine comme speakerine.

J’y rencontre Max BERNARD2, éducateur du sud de la France. Travaillant en horaires décalés, en partie la nuit, nous décidions de contacter ce qui deviendra l’école d’éducateurs. Jean BAUDAT, directeur3, nous y accueille avec combien de chaleur, dans le cadre du centre départemental de l’enfance. Nous sommes invités à prendre part à des cours de l’école d’éducateurs d’Alger. Je me souviens d’un Père Blanc assurant la sociologie. Après notre départ, une école d’éducateurs neuve sortira à Delly Ibrahim, sud d’El Biard à Alger.

1960, Retour au bercail, je me marie4, et à la Prévalaye

J’ai souvenir, à la rentrée de septembre, de trois jours de préparation de l’année. Les jeunes ou plutôt les éducateurs du groupe des grands (groupe rouge) (un temps les MAINGUY) voulaient changer l’emplacement de la porte d’accès. Bébert est sollicité, vient avec ses pinces et barres de fer, enlève les couvre-joints et les quelques pointes et sort le panneau plein pour le remplacer par un bloc porte. Le tour est joué. Dans du béton, ça aurait été autre chose ! Quand nous avions besoins de morceaux de baraque nous les prenions dans un ancien camp de la marine à Pont Réan, ce qui valut à un atelier de porter une magnifique pancarte « Le Redoutable », employé plus tard pour nommer un sous-marin nucléaire construit à Cherbourg. Les baraques étaient donc un élément d’aide à l’action éducative créative. Modulables par excellence !

Au centre de l’établissement, les deux groupes de grands rouge et jaune, puis la salle des fêtes (pompeux), avec l’harmonium de Christian BECHER5, les deux ateliers, des classes, les groupes de moyens et des petits,Bihan et Bihannig, l’infirmerie et tous les logements.

Chaque couple d’éducateurs était en principe logé, souvent sous les tilleuls. La proximité des familles auprès des jeunes perturbés, est un choix, positif, une valeur sure. Les apéritifs à répétition, l’étaient moins. Les « éducateurs techniques » ne sont pas logés. L’encadrement le plus noble, essentiellement ceux qui, dotés d’une solide formation, deviendront les éducateurs spécialisés, bénéficieront en premier des accords UNAR- ANEJI dont Jacques GUYOMARC’H, Directeur de la Prévalaye, est le Président fondateur avec Henri JOUBREL, juriste et écrivain.

Apparaitront plus tard les éducateurs techniques (Francis DANIEL6, Francis BARBIER, Claude BOUILLON) viendront plus tard, puis des moniteurs éducateurs et bien sur de très nombreux stagiaires.

L’équipe enrichie du psychiatre et de psychologues, proposera un vrai travail éducatif, vite reconnu et servant un peu de modèle pour les établissements de formation se mettant en place. Je me souviens que les jeunes participaient aux sélections des candidats éducateurs !

La maison s’inspire des principes du scoutisme, inconnus par moi. Des signes perdurent : le mât dans le milieu de la cour pour hisser les couleurs, les rassemblements au départ de chaque activité. On m’appelle chef. Je dis à chaque fois : «Eteignez les cigarettes, enlevez les mains de vos poches… »

Les jeunes sont tous, suivant la saison, habillés d’un short et d’un caban marin de toile de couleur marron. Je me souviens de quelques matins particulièrement froids, sachant que le poêle à mazout ne pourrait pas chauffer suffisamment, je partais avec le groupe en courant autour des baraques pour se donner chaud ! A la récréation, on ne sait pas tenir en place trop longtemps, nous organisons des parties de volley. Au moins les participants ne feront pas de bêtises, ou n’auront pas envie de se battre !

Mais revenons à ma fonction d’éducateur technique.

L’activité d’atelier n’ose pas prétendre à l’apprentissage d’un métier. Par contre, elle est lieu d’apprentissage des règles de la vie, lieu de construction de sa personne. Le vivre ensemble, disait-on alors, se plier à des horaires, à des exigences, à des attitudes de respect des autres, les groupes étant de douze, apportait de l’expérience. Le vécu au contact de ces valeurs permettait l’acquisition de repères. Il fallait y croire, proposer sans cesse, persuader du possible, assurer que la réalisation procure de la satisfaction. Faire, c’est exister. « Ma mère ne croirait pas que c’est moi qui l’ai fait »  me dit un jeune.

Le travail est dur, deux fois je me demanderai si j’y ferai de vieux os !

L’éducateur technique est reconnu comme possesseur d’un savoir-faire. Il est aidé par l’affirmation des réalités données par la matière elle-même. En effet si tu prends le bois dans ce sens, il n’éclatera pas et si le jeune refuse de l’entendre, c’est le bois qui se chargera de confirmer que l’adulte avait raison.

Dans ce milieu se voulant éducatif, chaque engagement se fait pour obtenir une valorisation de l’adolescent, souvent écorché vif, par les échecs à répétition. C’est dans la mesure où il trouve le matériau pour s’approprier une confiance nouvelle, que l’activité a du sens. Pour une première fois un établi, des outils lui sont confiés, jamais pour une épreuve créant une fausse assurance. Il mérite, exige le respect, et à cette condition là il acceptera peut-être de respecter les autres. Pourtant des bagarres sont fréquentes, trop à mon gré. Un jour un ciseau à bois traverse l’atelier à l’horizontale, il m’était destiné…

Mon vieil atelier, c’est comme les garçons, on s’y attache. Lors d’une forte tempête, un if énorme, plusieurs fois centenaire, est déraciné dans la nuit, en tombant il coupe la baraque en deux. A midi, nous avons déjà bien entamé le déblaiement. Tous vont retrousser leurs manches, on va faire quelque chose de vrai, on va reconstruire, réparer notre atelier, on va même monter une charpente qu’on va recouvrir avec des tôles. Ce jour-là divine nature avait su nous donner l’occasion d’être des grands, « qu’on ne vienne pas discuter de notre activité, c’est du solide… » Même le directeur est venu voir !

Cet atelier aura une suite, j’obtiens l’autorisation d’aménager la moitié du grand hangar (venu de St Jacques), au fond de la propriété. Des belles frisettes de sapin viennent égayer le lieu. On pourra y recevoir une petite machine à bois, achetée d’occasion et surtout l’activité encombrante, de réparation des casiers à bouteilles, confiée par la société Economique de Rennes. Je ne me souviens pas à quel niveau les jeunes étaient rémunérés pour leur prestation…

1961-62 Je participe à la formation de superviseurs avec Michel Lemay.

1962 Jacques GUYOMARC’H, mon patron, engagé à l’ANEJI, me pousse à une représentation ANEJI des éducateurs techniques.

Je participerai à de nombreuses commissions et stages nationaux des éducateurs et éducatrices techniques. N’ayant pas sous les yeux la liste, je me souviens bien du 6ème à Guipry (Nièvre) 1961, du 7ème à Venerque-le-Vernet 1962 (Haute-Garonne), très bien du 8ème à Clermont-Ferrand en 1963,

1965 j’écris mon premier article pour la revue LIAISONS de l’ANEJI : « Les éducateurs techniques, où en sont-ils ?7».

Je me souviens également très bien aussi des stages nationaux de Phalempin (1964) près de Lille et de Caen (1967)…

1969, Encouragé par Jacques LEBRETON8, délégué régional ANEJI, je candidate à la Formation CAFDES9.Je suis sélectionné par l’école de la santé et rentre dans la seconde session. Je reste reconnaissant à Albert GERARD, ouvrier d’entretien de la Prévalaye, d’avoir accepté de prendre mon groupe d’atelier quand j’étais absent pour la formation.

Je vais présider la commission ANEJI pour les mesures transitoires au ministère du travail. 1970, nous organisons le 15ème stage national des éducateurs et éducatrices techniques à Rennes sur le thème  » L’action éducative en atelier » avec les DANIEL10 et bien sûr Michel LEMAY !

Me permettrez-vous d’évoquer des collègues avec qui j’ai eu le bonheur de vivre cette expérience de la Prévalaye ? Francis DANIEL que je remplace, les MAINGUY, MENARD11, DUCHATEAU, BECHER, MONTAUFRAY12, VIMARD13, DANTON14, LEMAY, DELON, DARTIGUENAVE, ALTHERR15 Jacques LEBRETON, Dédé REEL16 et bien sûr Francis BARBIER, éducateur technique de l’atelier électricité puis Maurice REIGNER. Pardon à tous ceux que j’oublie…

1971 : diplômé CAFDES, je choisi de diriger l’IME, rue du parc à Saint-Brieuc géré par l’Adapei 22. On y adjoindra l’IMP Jean Bart et après en 1985 je crée un SESSAD recevant des enfants handicapés, premier âge.

1992 : dernier challenge, transformer les transports FLAGEUR en MAS, toujours à l’Adapei 22 ; puis diriger cette nouvelle maison d’accueil spécialisée pour grands handicapés adultes : Roch Bihan.

1996 : je prends ma retraite à 61 ans.

Claude BOUILLON

1 Un résistant, chef FFI de basse Normandie a été́ emprisonné par les Allemands à la prison de la Prévalaye.

2 Deviendra directeur d’un CAT région Nîmoise.

3 Il reviendra travailler sur Versailles.

4 Avec Christiane Chenu. Nous ferons trois beaux enfants…

5Christian Becher, Mayennais, stage à Chanteclair près de Laval puis à la Prévalaye. Formation d’éducateur à l’école d’Epinay-sur-Seine en 1961-62 (avec Roger Serrand). Diplômé́, il s’oriente vers secteur Handicap Mental, devient Directeur de l’ IMPRO Dol de Bretagne et crée le CAT DOL de Bretagne (ADAPEI35).

6 Francis Daniel éducateur technique. Prévalaye puis Motte aux Ducs. Formateur de breton à l’école Charles Le Goffic

7 In Revue LIAISONS, n° 55 p. 19-21 juillet 1965

8 LEBRETON_Jacques (1937-2016) Prévalaye, Service Social Spécialisé Tribunal Rennes, AEMO Laval, Brest. Délégué Régional et administrateur ANEJI.

9 Certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale

10 Francis Daniel et son épouse Henriette.

11 Paul Menard et Marie Annick Menard (1938 – 2019) 1960 : tous les deux école d’Educateurs Spécialisés (Epinay s/Seine). 1961 : Prévalaye, Marie-Annick est éducatrice responsable du groupe « les Bihan ». 1970 : à St Cyr puis ESSOR (76), éducatrice et comptable du foyer Mistral dont Paul son mari est le directeur. 1980 : à la Sauvegarde de l’Enfance de Rennes chargée de suivre des enfants placés en famille d’Accueil.

12 Montaufray Yves et {Josette Montaufray – née Le Buzit (1931-2011)}

13 Vimard Hélène éducatrice scolaire et Michel Vimard chef de service éducatif

14 Nicole infirmière Prévalaye & Yvon Danton, éducateur Prévalaye, Formateur à Le Goffic, APCS_ IRTS Bretagne… IRTS Ile de la Réunion puis directeur. Direction établissement IMC en 29, puis Directeur établissement pour autistes ADSEA Alpes maritimes.

15 Daniel Altherr, Educateur Econome à la Prévalaye, Formateur Charles Le Goffic ; directeur des Rabinardières (Melesse) et Denise Altherr-Perenes, secrétaire FBSEA. Prévalaye, CREAI_Rabinardières, ARASS. Centre Jeunes et Métiers et DG_ARASS…

16 André Rehel Educateur Prévalaye couple éducatif avec Colette Mainguy groupe « Rouge » : garçons 16-21 ans.