conservatoire national des archives et de l'histoire de l'éducation spécialisée et de l'action sociale

Mathieu Cichon, doctorant en histoire, Université d’Angers.
Construction subjective de migrations forcée des enfants et des jeunes polonais rapatriés ou exilés au Royaume-Uni (1940 à nos jours.

Présentation de mon travail de thèse. Elle porte sur les jeunes polonais déportés sous Staline, et qui ont bénéficiés d’une « amnistie » puis ont été accueillis en Australie, Inde, Nouvelle Zélande, Afrique de l’Est d’une façon organisée par le gouvernement polonais en exil.
Qu’est-ce qui est arrivé à ces jeunes pendant la guerre et après, ce qui a été peu étudié.
Mon père est polonais, il m’a transmis la langue.
Ces jeunes viennent pour la plupart des territoires orientaux de la Pologne, territoires annexés par la Russie. Un deuxième groupe de polonais va réémigrer après-guerre en Pologne. Ils ont émigré en France et ont une affinité politique avec le communisme. Le face à face avec des populations qui n’avaient pas migré a été brutal. Mais c’est particulièrement avec ceux qui ont été déportés par les Russes que les relations seront tendues.
https://ajco49.fr/2021/06/21/freres-de-sang-et-pourtant-freres-ennemis-la-difficile-integration-des-reemigres-polonais-de-france-en-basse-silesie-au-lendemain-du-second-conflit-mondial-une-reflexion-sur-les-obstacles-rencontr/
Perspective du temps long
Les déportés : 400 000 sont déporté dont 140 000 mineurs. Puis ils sont « amnistiés » et partent par l’Iran, puis partent dans de nombreux pays. 10% rentreront. Les plus nombreux seront au Royaume-Uni et dans les pays du Commonwealth
La chute de l’Union soviétique va permettre l’accès aux archives et à la création d’archives. De nombreux travaux, mais l’enfance n’a pas été étudiée. Les enfants étaient perçus comme des victimes passives. Les travaux actuels montrent leur grande agentivité, leur capacité à se projeter. Des entretiens en anglais et en polonais, des personnes et de leurs descendants. Plus un corpus de témoignages d’enfants qui décrivent ce qu’ils ont vécu juste après leur accueil en Iran (alors sous contrôle anglais).
L’administration du gouvernement polonais en exil (Hoover Institution). https://www.hoover.org/library-archives/collections/poland-during-world-war-ii
Aure source : des hebdomadaires réalisés par les enfants pendant la guerre. Des rédactions fabriquées dans du périscolaire et diffusées via le scoutisme.
Des enfants ballotés de camp en camp puis dans différents pays. La fin du conflit a été une énième migration.
Etudier ce qui constitue leur foyer.
Bienveillance des autorités. Des textes montrent qu’elles ont une bonne connaissance des épreuves vécues par les enfants, particulièrement en Russie, et un souci attentif de leurs conditions de vie. Les enfants expriment qu’ils apprécient d’avoir retrouvé une sécurité et des activités, le retour à une forme de routine avec la certitude que « demain nous y reviendrons. En Russie l’incertitude permanente.
L’abondance de la nourriture est beaucoup pointée par les enfants
Les enfants soulignent aussi la joie de retrouver une intimité. Chacun a son lit.
Importance aussi des animaux.
Tout cela tranche avec l’expérience en Russie : on avait froid, faim, peur, des poux. On rêvait de pain. Mais ils peinent à raconter. Perte de l’imaginaire ?
On voit la renaissance de l’imaginaire ensuite.
L’encadrement n’est pas complètement désintéressé
Pour ceux qui sont envoyés en Allemagne la culture polonaise est interdite, des jeunes enfants sont adoptés par des familles allemandes. Le gouvernement en exil fait tout pour faire évacuer en priorité des enfants, pour préserver la culture, « l’avenir de la nation polonaise. En faire des éléments utiles pour la patrie.
Les activités culturelles et sportives.
Le scoutisme polonais – à la différence du scoutisme anglosaxon porté sur le civisme – est fortement patriotique. Au service de Dieu, de la Pologne, de la famille.
La presse rappelle les devoirs vis-à-vis du pays où les enfants et adultes se font tuer.
Maintenir une fierté d’appartenance à la nation.
Un encadrement à relativiser ; l’agentivité de la jeunesse.
Manon Pignot a étudié l’endoctrinement des enfants pendant la guerre ( À hauteur d’enfant | Cairn.info ). Les archives ne montrent pas une soumission. Les enfants ont vécu une série d’humiliation : leur pays est envahi par les allemands et les russes ; ils ont été témoins de l’impuissance de leurs parents. Puis ils ont été déshumanisés.
Être restaurés en tant que polonais modèles a des effets.
En Russie, l’obligation d’entendre que Dieu n’existe pas, de chanter des champs soviétiques, d’être obligé de prendre des cours de russes. Ils jouaient avec des jeunes russes. Leurs parents refusaient qu’ils parlent russe.
En exil, on imposait à ces jeunes qu’ils ne plaignent pas. Au pays les autres jeunes connaissent des choses bien plus graves. Ne pas pouvoir se plaindre, est-ce que ça n’a pas favorisé l’oubli ?
Où est-ce que ça les a protégés de s’enfermer dans une posture de victime ?
Ils disent aujourd’hui « quand il y a des attentats, il y a des cellules psychologiques, nous on en n’a pas eu besoin ».
Samuel : Une revue de la Sauvegarde de l’enfance en 1948 qui montre que des psychologues étaient formés sur ces question
Photo de David Seymour, la petite Telescka (« les enfants victimes de la guerre)

Après Yalta, la translation vers l’ouest. 7.600.000 allemands sont expulsés.
Les polonais en exil qui reviennent dès 1945 sont fichés par la police politique et seront durablement surveillés, empêchés
Je m’attendais à rencontrer pas mal de personnes névrosées. Parmi les enfants cachés en France, pas mal de troubles, des suicides… Là, rien. Pas un témoin ne fait état de troubles.
Les parents ont beaucoup poussé leurs enfants à réussir scolairement.
J’ai douté de mon échantillon (15 témoins). J’ai demandé à ce qu’ils parlent de l’entourage, ils n’ont rien vu et ils décrivent une vie extraordinairement ordinaire.
Cela m’a amené à recontextualiser. Comment le contexte a permis une reconstruction.
Quand on compare avec des enfants actuellement dans des camps à Lesbos, qui s’auto-mutilent.
Anne-Marie Chartier : importance du témoignage de Christophe Paumian.
https://journals.openedition.org/elh/547
Le « faire famille » avec une mémoire défaillante.
Beaucoup de jeunes ont pris leur distance avec leurs parents qui ressassaient. Problème, leur mémoire et la transmission de l’histoire a été empêchée.
Des témoignages sur le refus des récits : ne pas revivre cela, même en souvenir.
Une méconnaissance des origines.
Les multiples raisons de l’oubli posent problème aux petits enfants. Des familles distendues.
La jonction de deux sujets
Le clash des cultures
Violence du conflit qui a opposé les polonais de retour de déportation et ceux qui réémigraient.
Les réémigrés de France n’ont pas connu la même guerre. Ils sont revenus de façon volontaire. Imaginez des polonais déportés en Russie entendant des militants communistes venus de France, n’allant pas à l’église, jouant à la pétanque, s’engageant dans la milice…
Mais qu’ils viennent de l’Ouest ou de l’Est, ils sont suspects, persécutés, soient parce qu’ils ont été déportés, soit qu’ils sont soupçonnés d’être des agents de l’Ouest. Certains ne sont pas autorisés à faire des études. Pour se protéger, ils prennent leur carte du parti.
Le corpus
200 à 300 témoignages d’enfants et adolescents, écrits en 1942 et début 43 ; Mais je ne connais pas le cadre dans lequel ils ont été produits. Il y a des trames : comment avez-vous vécu l’invasion soviétique…
Il y a aussi des collectes menées dans les années 90. Alors une certaine véhémence : je vais pouvoir vous dire ce qui s’est passé et que je n’avais pas le droit de dire.
Pour les entretiens que j’ai menés, je suis passé par les réseaux, j’ai proposé une charte de bonne entente, un questionnaire, et des entretiens semi-directifs.
Plusieurs entretiens avec la même personne.
Les dessins d’enfants
Dans les situations de voyages épouvantables, avec beaucoup de cadavres épouvantables, pas de dérivatifs, pas de dessins.
Question : il y avait beaucoup de juifs ?
Oui, beaucoup, mais les polonais ont tendance à squeezer les populations juives. Pourtant ils ont été sur les mêmes bateaux, les mêmes trains. Il y a eu un jugenland en IRTS
Anne-Marie Chartier : Des ASS travaillant dans le nord après-guerre disait que la spécificité des familles polonaises : « les enfants sont très bien tenus, les mères sont très attentives ».
Un corpus d’objet ?
Oui, ces fragments comptent beaucoup.
L’émotion du chercheur
Les sources sont denses, il y a un coût psychique à lire des centaines de pages d’horreur. 1° école, on attend que ça passe. Mais je pense que l’émotion est salutaire. Qu’est-ce qui est le plus baisé, étudier avec froideur, ou transmettre le tragique.
L’émotion peut être utilisée, sans tomber dans le pathos.
Témoignages d’héroïsme d’ainés se sacrifiant pour que les plus jeunes mangent un peu.
Les femmes devaient faire des travaux d’homme, et certains enfants disent avoir eu du mal à les reconnaître.
Samuel. Dans les républiques d’enfants en Suisse, les polonais demandent le retour des enfants pour repeupler la Pologne. Comment les enfants qui ont suivi leurs parents qui réémigrent avec leur parents. Comment vivent-ils ce déracinement.
C’est douloureux, on rêvait d’Afrique et on ne voulait pas se réveiller pour ne pas retrouver ce pays étranger
Marta Cravéri Marta Craveri, Anne Marie Losonczy, « Enfants du Goulag » : https://journals.openedition.org/monderusse/10753
Anne-Marie Chartier : Les neiges bleues : https://www.babelio.com/livres/Bednarski-Les-neiges-bleues/45625
Un environnement rassurant et en même temps un imaginaire guerrier, patriotique. Beaucoup de correspondance avec les soldats.
Comparer ce qu’ils disaient en 1943 et aujourd’hui. Dans les écrits tout donne à penser que les gens se soutenaient. 60 plus tard, des témoignages différents ; souvent du chacun pour soi.
Les contacts étaient nombreux avec les russes, et de la solidarité des russes, mais c’est passé sous silence.
Des attitudes égoïstes, du désespoir, des liens avec les russes, ce n’était pas acceptable dans un contexte patriotique.
Troubles psychiques et troubles relationnels. Lebigot :
https://www.yapaka.be/professionnels/publication/le-traumatisme-psychique-francois-lebigot
Sarah Maza / l’agentivité. Elle critique le concept, pour elle une coquille vide.
https://historicalstudiesineducation.ca/index.php/edu_hse-rhe/article/download/4929/5269/
Le risque de n’étudier que l’activité de l’enfant et pas sa conformité ou la coexistence de conformité et de résistance.
L’objet journal intime, qui circule entre jeunes. Les profs écrivent dessus…

Un groupe Facebook de 10.000 personnes avec les petits enfants qui échangent énormément.

Les mouvements de population en Europe après Yalta :
https://www-cairn-info.faraway.parisnanterre.fr/revue-raison-presente-2017-3-page-33.htm

Dans les entretiens en Visio, on voit les émotions, les personnes qui recherchent des documents pour se rappeler.
Les personnes âgées sont aidées par leurs enfants, qui du coup présents et réagissent.